66.

Carroll avait décidé de tout reprendre au début. Retour à la case départ. Il passa minutieusement en revue l’ensemble des pistes initiales de l’enquête sur Green Band ainsi que toutes les intuitions qu’il avait pu avoir. Il savait que cette besogne lui prendrait d’innombrables heures et requerrait des recherches, informatiques entre autres, des plus fastidieuses.

Ah, le boulot de flic !

Il sollicita auprès de la CIA et du FBI une autorisation d’accès à leurs fichiers informatiques. Les deux services y consentirent, mais Phil Berger imposa néanmoins certaines restrictions.

Presque onze heures plus tard, Carroll se tenait devant une douzaine d’ordinateurs dans la salle de la cellule de crise, au numéro 13 de Wall Street. Il avait mal aux yeux à force de scruter les écrans.

Il jeta un bref regard à Caitlin, qui, assise devant un PC, avait les mains levées au-dessus d’un clavier, prête à entrer un mot de passe lui permettant d’accéder à d’autres fichiers du FBI.

Quand celui-ci fut validé, elle tapa une demande de liste des vétérans du Vietnam toujours au service de l’armée ou non et qui, pour une raison ou pour une autre, avaient fait l’objet d’une surveillance de la police au cours des deux dernières années – une période déterminée par Carroll et elle.

Elle entra les paramètres suivants : Experts en explosifs. Région de New York. Éventuelles tendances subversives.

Carroll avait déjà exploré cette piste, si ce n’est qu’alors il n’avait pas bénéficié de l’équipement perfectionné de la cellule de crise, ni de la collaboration de Caitlin. S’il existait des groupuscules américains dans la mouvance terroriste, aucun d’eux n’était considéré comme influent ni bien organisé. Phil Berger avait personnellement enquêté sur les organisations paramilitaires et dissuadé Carroll de persévérer dans cette voie.

— Est-ce que tu peux imprimer un listing des cas les plus sérieux ? demanda-t-il à Caitlin.

— Ceci est un ordinateur. Il peut faire n’importe quoi tant que tu te demandes gentiment.

L’imprimante matricielle se remit obligeamment en marche. Sur la sortie papier, ils relevèrent un total de quatre-vingt-dix noms de militaires et d’anciens combattants ayant une connaissance approfondie des explosifs et une expérience dans ce domaine au Vietnam ; les hommes que le FBI jugeait opportun de tenir à l’œil. Carroll arracha la liste de l’imprimante et l’étala sur le dessus d’un bureau.

Adamski, Stanley. Caporal. Séjour de trois ans à l’hôpital pour anciens combattants de Prescott, Arizona. Membre des Rams, un soi-disant club de motards qui est en réalité une organisation gauchiste de vétérans.

Carroll se demanda dans quelle mesure ces informations avaient été polluées par la paranoïa du FBI.

Il s’aperçut vite que la liste était pleine de renvois vertigineux. Un nom se rapportait à un autre, créant une impression d’enchevêtrement. On pouvait passer des mois à débrouiller toutes les correspondances.

KerestyJohn. Sergent. Spécialiste des munitions. Rendu à la vie civile en 1974 à sa sortie de l’hôpital pour anciens combattants de Scrantony Pennsylvanie. Profession : gardien dans une société de fabrication d’explosifs. Membre du Parti socialiste américain. Ridgewood, New Jersey. Cf. : Rhinehart, Jay T. ; Jones, James.

Le catalogue se poursuivait ainsi sur des pages.

Carroll se massa les paupières. Il sortit chercher deux cafés et revint s’installer devant le bureau et l’interminable liste.

— N’importe lequel de ses hommes, voire deux ou trois d’entre eux agissant en collaboration, aurait tout à fait pu participer à l’attentat du quartier financier, constata-t-il.

Caitlin examina la liste par-dessus l’épaule de Carroll.

— Alors, on commence par quoi ?

Il secoua la tête. Il était à nouveau en proie à de sérieux doutes. Il leur faudrait enquêter sur chacun des noms répertoriés, voire rendre visite à tous ces hommes. Ils n’en avaient pas le temps.

Scully, Richard P. Sergent. Expert en explosifs. Hospitalisé pour alcoolisme en 1974. Sympathisant de l’extrême droite. Profession chauffeur de taxi. New York City.

Downey, Marc. « Nettoyeur » militaire. Hospitalisé entre 1971 et 1973. Profession : barman. Worcester, Massachusetts.

Carroll étudiait cet inventaire sans fin quand il lui vint une autre idée. Un officier, peut-être ? Un officier mécontent, avec une dent contre l’armée ou défendant une cause ? Quelqu’un de supérieurement intelligent qui aurait accumulé de la rancœur au fil des ans ?

Il posa les mains sur l’ordinateur chaud. Il aurait aimé pouvoir lui soutirer tous ses secrets, toutes les analogies que celui-ci était capable de former électroniquement.

Il fixa la sortie papier déjà bien longue.

— Un officier, suggéra-t-il. Essaye ça.

Caitlin retourna à son clavier. Il regarda le mouvement de ses doigts experts sur les touches. Elle entra une demande concernant des « éléments subversifs connus ou présumés ayant été officiers au Vietnam ». La rubrique générale « éléments subversifs » incluait toutes sortes de gens.

D’autres noms s’affichèrent sur l’écran. Des colonels, des capitaines, des commandants. Certains d’entre eux étaient officiellement enregistrés comme schizophrènes. D’autres étaient prétendument détruits par l’usage de stupéfiants. D’autres encore étaient devenus évangélistes, clochards ou minables braqueurs de banques ou de magasins de vins et spiritueux. Dans la catégorie des purs et durs, vingt-neuf ex-officiers vivaient à New York ou dans les environs.

L’écran clignota à nouveau, faisant à présent défiler les noms de divers officiers de la région recensés par le FBI. Carroll parcourut la liste.

Bradshaw, Michael. Capitaine. Rendu à la vie civile en 1971 à sa sortie de l’hôpital pour anciens combattants de Dallas, Texas. Profession : vendeur dans une agence immobilière de Hempstead, Long Island. Souffre du syndrome de stress post-traumatique.

Babbershill, Terrance. Commandant. Exclu de l’armée pour conduite déshonorante en 1969. Sympathisant notoire du Vietcong. Profession : professeur d’anglais particulier de plusieurs familles vietnamiennes. Brooklyn, New York.

Carroll cligna des yeux et s’efforça de voir net. Ses yeux commençaient à pleurer. Il éprouvait le besoin de sentir l’air froid de la nuit sur son visage. Mais il ne bougea pas : il continua à lire rapidement la liste de noms.

 

Rydeholm, Ralph. Colonel.

O’Donnell, Joseph. Colonel.

Schweitzer Peter. Lieutenant-colonel.

Shaw Robert. Capitaine.

Norsworthy Robert. Colonel.

Boudreau Dan. Capitaine.

Kaplan Lin Capitaine.

Weinshanker Greg. Capitaine.

Dwyer James. Colonel.

Beauregard Bo. Capitaine.

Arnold Tim. Capitaine.

Morrissey, Jack. Colonel.

 

Il y a trop de noms, songea Carroll.

Trop de victimes du gâchis qu’avait été cette guerre.

— Tu peux m’établir des rapprochements, Caitlin ? Trouver des correspondances et des liens entre ces hommes ? Parmi les officiers raiment coriaces qui ont fait le Vietnam ?

— Je vais voir.

Elle appuya sur quelques touches de son clavier. Sans résultat, Cette fois-ci.

Elle fixa l’écran d’un air pensif puis tapa autre chose.

Il ne se passa rien.

Elle entra une autre demande.

Toujours rien.

— Il y a un truc qui cloche ? s’inquiéta Carroll.

— Je ne peux pas faire mieux, Arch. Et merde !

Le message qui s’affichait sur l’écran disait :

POUR DE PLUS AMPLES INFORMATIONS, CONSULTER LES ARCHIVES.

— Les archives ? s’exclama Carroll.

— Apparemment, les archives du FBI contiennent d’autres dossiers qui, eux, ne sont pas informatisés. On peut les compulser à Washington. Et seulement à Washington. Mais pourquoi donc, bon Dieu ?

Vendredi Noir
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